Environnement Lançonnais

Les agriculteurs sont piégés dans une spirale qui relève de la responsabilité collective.

samedi 18 décembre 2010 par Alain KALT (retranscription)

Pierre Rabhi, à travers sa fondation éponyme présente au Maroc, au Burkina Faso, au Mali mais aussi en Europe, essaime l’agroécologie à travers le monde. L’auteur de "Vers la sobriété heureuse" livre à Actu-Environnement sa vision de l’agriculture et de la société.

Article lu sur : http://www.actu-environnement.com

Actu-Environnement.com :

La Commission européenne vient de présenter ses propositions pour la PAC post 2013. Qu’en pensez vous ?

Pierre Rabhi : Je suis tellement habitué à des proclamations, à de l’eau tiède, alors qu’il y a tant d’engagements fermes à prendre que j’ai perdu l’écoute de ces choses-là. Je reste dans ma radicalité ! L’humanité a fait un choix dangereux : concentrer l’argent, la productivité dans certaines mains, à travers des macrostructures. C’est une véritable catastrophe, ce système ruine tout. Il faut revenir à des exploitations à taille humaine, passer du macro à la multiplication du micro.

AE : Vous parlez d’ailleurs ’’d’agriculture industrielle’’…

PR : Auparavant, en Europe, des multitudes de fermes maillaient les territoires et les approvisionnaient de manière autonome. Et puis ces fermes à taille humaine ont été transformées en exploitations agricoles. Le paysan ruiné est parti travailler à l’usine, dans les mines… Et puis la modernité a frappé dans les pays du Sud. Il y avait de nombreux villages avec leurs terres nourricières, leur bétail, leurs savoir-faire. Ils vivaient dans une forme d’autonomie, ils répondaient à leurs besoins vitaux par eux-mêmes. L’argent les a détourné de cette organisation traditionnelle. Les cultures, coton, cacao, arachides, ont été tournées vers l’exportation. Les paysans ont dû investir dans des intrants et se sont retrouvés en concurrence déloyale avec les autres pays. Ce déséquilibre des échanges a conduit les paysans à partir dans les villes chercher du travail. J’ai un énorme désaccord avec la modernité ! L’humanité est en train de s’éradiquer elle-même en pillant la planète pour faire du fric et du capital. Je ne me fais pas de soucis pour la planète, mais pour l’humanité qui est devenue démente. Nous nous suicidons avec ce système. C’est une question de responsabilité morale. Je ne pointe pas du doigt les agriculteurs qui, s’ils ont une part de responsabilité, sont piégés dans une spirale qui, elle, relève de la responsabilité collective. Le consommateur a par exemple une part énorme à jouer dans le changement, avec l’influence qu’il peut avoir sur le marché par ses choix. Il devrait être un modérateur. Aujourd’hui, le consommateur est responsable, soit par ignorance, soit par désintérêt.

AE : Vous prônez une autre agriculture, appelée l’agroécologie…

PR : Je ne prône pas mais je pratique l’agroécologie depuis une cinquantaine d’années. L’idée est simple : comment faire que nous, êtres humains, puissions nous alimenter avec une terre qui soit respectée, entretenue, améliorée de manière à lui donner un rôle pérenne. Il s’agit de se placer dans le respect des fondements même de ce qui préside à la vie : l’eau, la terre, l’air…

AE : L’agroécologie peut-elle nourrir l’humanité ?

PR : Bien sûr ! On nous oppose régulièrement cet argument. Pourtant, ce n’est pas quand on aura saturé les sols nourriciers de pesticides et autres produits chimiques que l’on pourra continuer à produire. L’agriculture biologique implique également une réorganisation sociale. Il s’agit d’impliquer le plus grand nombre dans un système alors que le système actuel produit de plus en plus de chômage, avec les problèmes qui s’ensuivent. C’est une question de choix : On peut produire une centaine de tonnes de céréales avec force d’intrants et de mécanisation ou avec une cinquantaine de paysans. L’objet de l’agriculture biologique est aussi social : redonner un rôle au plus grand nombre.

AE : C’est ce que vous essayez de faire avec la fondation Pierre Rabhi, créée en 2010 ?

PR : Je ne renonce pas et je ne baisse pas les bras ! J’essaie de servir ce message magnifique de la vie. Nous avons déjà créé des structures de formation, d’accueil, notamment à l’international. On concrétise les choses, on les incarne afin de montrer qu’il est possible de faire autrement et que la société civile innove, se questionne, agit. C’est un formidable laboratoire où s’exercent des actions qui préparent le futur. Je suis pour une insurrection des consciences, c’est-à-dire une coalition des consciences qui veulent que les choses changent. L’urgence est à la fois écologique et humaine. Dans le Sud, les pénuries, les disettes ne cessent de croître. Nous sommes face à une insuffisance alimentaire mais aussi à une nuisance alimentaire : les denrées sont de mauvaise qualité. Les attentes sont de plus en plus grandes et avec la fondation, nous aimerions être à la hauteur de ces attentes. Il s’agit de mettre en route des processus sur l’agroécologie, la problématique de la faim, la gestion de l’eau, la souveraineté des paysans… La fondation a été créée une fois que nous avons éprouvé ces pratiques et démontré objectivement que l’agriculture biologique est efficace. Je suis impliqué depuis 1981 au Burkina Faso par exemple, et dans ces zones semi-arides, nous avons réussi à accroître la productivité. Les résultats sont encore plus flagrants dans ces zones difficiles. Il s’agit désormais d’avoir les moyens matériels pour développer ces pratiques.

Propos recueillis par Sophie Fabrégat © Tous droits réservés Actu-Environnement Reproduction interdite sauf accord de l’Éditeur ou établissement d’un lien préformaté [11425] / utilisation du flux d’actualité.

Autorisé à la publication sur le site par mail du 15 décembre 2010.

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